pacifisme

Pierre Gamarra et le pacifisme : deux contes d’après-guerre

Les convictions politiques de Pierre Gamarra ne peuvent pas se comprendre si on les dissocie du pacifisme. Pierre Gamarra est d’abord marqué par la Première guerre mondiale, à travers son propre père (qui ne parlait pas de la guerre, dit l’écrivain dans ses entretiens avec Jacques Capdecomme, mais dont il portait la présence), puis à travers la littérature (surtout Barbussse, chez qui il retrouvait, en plus, éclaircie dans cet univers sombre, l’argot plaisant de son père) et enfin par la disparition d’écrivains qu’il aimait (Pergaud, et sans doute Fournier) durant le conflit. Il est ensuite notamment très proche des valeurs du pacifisme tel qu’il s’exprime durant l’entre-deux-guerres, chez Romain Rolland, par exemple, un pacifisme qu’on retrouvera explicitement aux origines de la fondation de la revue Europe, en 1923, par ce dernier et un groupe d’intellectuels qui partageaient cette préoccupation. La revue, que Pierre Gamarra rejoindra très durablement à partir de 1948, ne se départira pas de cet esprit pacifiste, que ce soit notamment lors de la guerre du Vietnam (avec divers numéros sur le sujet) ou durant la Première guerre du Golfe (avec un court numéro spécial de poésie).

C’est dans ce contexte que, lorsqu’il « monte » à Paris, en 1948, justement pour y occuper les fonctions de secrétaire de rédaction d’Europe, Pierre Gamarra participe à diverses manifestations en faveur de la paix (plusieurs villes d’Europe, après la seconde guerre mondiale, avaient vu de telles manifestations se tenir). Il assiste notamment, aux côtés d’Aragon, en avril 1949, à Paris, au « Congrès mondial des partisans de la paix » dont le président est Frédéric Joliot-Curie et dont l’emblème est La Colombe dessinée de Picasso (voir, dans notre préface à La lune dans ton sac, l’histoire de Pierre Gamarra avec cette Colombe). Le Congrès publie la revue Les Partisans de la paix, à laquelle collaborera Pierre Gamarra.

La petite fille et la colombe

C’est dans cette revue qu’est publié en 1950 un premier conte sur le thème de la paix. Il sera  repris par le journal de l’Union des Femmes Française (UFF) supplément n°306. Il s’agit de La petite fille et la colombe, dans lequel Pierre Gamarra imagine que plusieurs personnalités (Frédéric Joliot-Curie, Paul Robeson et Picasso) aident une colombe à apporter la paix aux enfants du monde :

Et le Vent de la Nuit et le Rayon de Lune cherchèrent un oiseau. Mais ils n’en trouvaient pas. Celui-là était endormi et celui-ci était en cage et cet autre trop petit. Il eût fallu un grand et bel oiseau aux ailes largement étalées, bien pourvues de plumes, avec un corps souple et léger, une poitrine ferme pour fendre les airs, les nuages…

— Bel oiseau, bel oiseau où es-tu ? disait le Vent de sa voix la plus douce. 

Mais tout à coup le Rayon de Lune frissonna.

— Regarde ici cette fenêtre éclairée.

— Et derrière la fenêtre ?

— Derrière la fenêtre, je vois un homme devant une feuille blanche comme la neige…

— Approchons-nous.

— Comment s’appelle-t-il ?

— Il s’appelle Pablo Picasso. C’est un peintre.

(…)

Et comme le Rayon de Lune disait ces mots, l’Oiseau blanc s’envola. Ils le virent frémir sur la page, trembler de toutes ses plumes. Dans un froissement tranquille, il se détacha du papier. La main couleur de pain cuit l’accompagna un instant dans la courbe de son essor. Il prit le chemin de la fenêtre ouverte. Les guitares oubliées résonnèrent d’un chant profond comme si dans les lointains des centaines et des milliers et des millions de voix se mettaient à chanter. La Colombe de Picasso prit le chemin des espaces par-delà les terres, les fleuves et les villes, et les grandes ailes agitaient l’air dans la direction de la petite fille endormie…

(La petite fille et la colombe, pp. 11 ; 14)

Les mots enchantés

En 1952, c’est un autre conte, Les mots enchantés, qui est édité par les Editeurs Français Réunis, avec des dessins de Zuka (1924-2016), artiste américaine installée à Paris depuis 1948. En voici un extrait, où le pacifisme de l’auteur rejoint son goût pour une manipulation de la langue par le merveilleux (tel qu’il apparaîtra ensuite dans On a volé l’alphabet, par exemple) :

Et tout à coup, le mot MÈRE tendit ses bras caressants. Les autres mots s’écartèrent. Le silence se fit dans la salle. L’encrier et la petite plume au bec cassé s’arrêtèrent de respirer pour mieux entendre.

— Mes amis les mots, mes amis les mots des livres et des hommes, écoutez-moi bien, dit le mot MÈRE.

Il parlait tout doucement et l’on entendait pourtant tout ce qu’il disait :

— Je crois que j’ai trouvé le mot qu’il nous faut pour président ! C’est celui que tout le monde aime, que tous les hommes, les enfants, les femmes, les laboureurs et les maçons choisiraient comme nous. C’est drôle, c’est un mot de quatre lettres seulement et il en contient d’autres plus longs que lui. Il contient le mot AMOUR, il contient le mot PAIN, il contient le mot MAISON, il contient le mot UNION …

— Je sais, j’ai trouvé, dit le mot VIOLETTE. C’est un mot qui est parfumé, encore plus parfumé que moi. Il contient tous les parfums des fleurs, les lilas, les jacinthes, les roses, les œillets et même les petites violettes comme moi. Si nous ne l’avions pas, si on l’effaçait, tout serait fini.

— Ah ! je vois, dit le mot GOURMANDISE, même moi je comprends, c’est le mot …  

— C’est le mot PAIX ! crièrent beaucoup, beaucoup de voix.

Et, aussitôt, une sorte de lumière apparut. Une lumière qui ressemblait à celle du jour qui se lève, lorsque le soleil perce le capuchon des nuages.

— Oui, le mot PAIX sera notre président ! crièrent encore les mots.     

Quelques-uns ne crièrent pas. Le mot MÉCHANCETÉ s’était reculé. Il était avec quelques autres comme lui dans un coin et il n’osait pas bouger parce que c’était son tour d’avoir peur.  

Le mot PAIX s’avança. Il était beau. Il avait les plus belles couleurs qu’on puisse rêver. Blanc comme le lait et la farine, bleu comme les mers où vont les bateaux qui portent des marchandises d’un pays à l’autre, vert comme les prairies où pousse une bonne herbe juteuse, rose comme les tuiles et les briques, il avait toutes les couleurs. Et ses cheveux étaient dorés comme le blé et le maïs et l’orge…

C’était lui qui avait été choisi. Et la lumière qui se répandait dans la classe venait de ses habits, de ses yeux et de ses cheveux…

(Les Mots enchantés pp. 19-21)

Pour avoir un témoignage encore plus direct de ce rapport de Pierre Gamarra à la guerre et à la paix, reportons-nous à une lettre qu’en 1989 il adresse à Maria Josefa Marcos Garcia (chercheuse espagnole qui prépare alors un mémoire qui a pour sujet : « Toulouse dans l’œuvre de Pierre Gamarra », rédigé en français) :

J’ai vécu dans la ville (Toulouse) et la région pendant la guerre et j’y ai participé à la Résistance. À la Libération, j’ai fondé le premier journal quotidien dans la ville libérée. Je n’ai jamais été un belliciste, un guerrier. J’ai participé avec mes armes à moi, celles du tract, du journal clandestin, du poème. 

Et l’écrivain de conclure en affirmant sa « détestation de la guerre. Je suis profondément, viscéralement pacifique et pacifiste. »

1 réflexion au sujet de “Pierre Gamarra et le pacifisme : deux contes d’après-guerre”

  1. Pierre Gamarra ne pouvait être que profondément pacifique , quand on aime les enfants on ne peut pas aimer la guerre .
    ces deux poèmes sont magnifiques et très émouvants ,

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