Pierre Gamarra est né à Toulouse le 10 juillet 1919 : dans le cadre des célébrations de cet anniversaire, nous reproduisons ici un poème évoquant le souvenir que le poète se bâtit autour de sa propre naissance.
JE VENAIS DE NAITRE. L’ÉTÉ
Là-bas, dans cette rue, là-bas,
dans cette ville violette,
là-bas, dans cette maison, là-
bas dans cette chambre muette.
Là-bas, un enfant, un miroir,
là-bas, un signe sur le plâtre,
là-bas, un souffle, un frêle espoir,
là-bas, une gorge d’albâtre.
J’écoute ce reflet là-bas
comme un lézard qui disparaît ;
j’écoute où mon âme trembla
comme un très vieil enfant doré.
Je reviens vers des saisons folles
qui se mêlaient dans les cloisons,
des frimas remplis de corolles,
des étés de plume et de plomb.
Des théories de dromadaires
traversent les plafonds d’émail.
Le miel des caravansérails
colore les pluies passagères.
Une robe, une silhouette
s’effacent sous les marronniers,
langues roses, pistils sucrés,
là-bas, dans cette rue secrète.
Je venais de naître. L’été
enflammait les rues de Toulouse ;
la paix errait sur les pelouses
parmi des poignards éclatés.
Les eaux du canal, nuits errantes,
emportaient déjà mes bateaux
vers les mers aux mains inconstantes
et vers les glaces d’Aneto.
Là-bas, dans cette rue heureuse,
la paix marchait à pas de loup,
à pas d’esclave ou de boiteuse,
à pas de reine, à pas de fou.
Là-bas, où sont des traces vaines,
maison morte et fleur d’oranger,
lampe éteinte, livre rongé,
j’écoute le sang de mes veines.
Pierre Gamarra, Romances de Garonne — Messidor, 1990